
En 1989, le spécialiste et historien des comics Craig Yoe déniche, lors d’une vente de livres rares, quelques exemplaires de Nights of Horror. Ce sont des rescapés, cette série de fanzines ayant été interdite et détruite sur jugement de justice. Son œil averti ne le trompe pas : les dessins sont de Joe Shuster, celui qui dessina Superman ! Son nom n’est mentionné nulle part, bien sûr, mais aucun doute : il s’agit bien de lui. C’est ainsi que commence l’histoire de ce livre : Secret Identity: The Fetish Art of Superman’s Co-creator Joe Shuster, publié en 2009 aux éditions Abrams ComicArt.



Superman s’envole, Shuster reste à terre
Tout le monde connaît Superman. Certainement est-ce le super-héros le plus connu au monde. Il paraît même qu’il serait le premier (wikipédia). Ce personnage fut créé par Jerry Siegel au scénario et Joe Shuster au dessin. Après plusieurs refus, il fut accepté par National Allied Publications (qui deviendra DC Comics) et l’homme à la cape rouge apparaît pour la première fois en 1938 dans le premier numéro d’Action Comics, une anthologie de plusieurs BD. Le succès est fulgurant et Superman aura la carrière que l’on sait.

Désireux de voir enfin leur création publiée et n’imaginant certainement pas la réussite future de leur personnage, Siegel et Shuster avaient accepté de céder l’intégralité de leurs droits à l’éditeur pour la somme de 130 $ (quelque chose comme 2 500 € actuels). Aucune redevance ne leur est donc due, et le contrôle créatif de leur personnage leur échappe. Néanmoins, les deux auteurs vivent bien dans un premier temps de leur travail, jusqu’à l’immédiat après-guerre. C’est en effet la rupture avec DC Comics et Siegel et Shuster n’ont droit à rien sur leur création, malgré un procès.
Vient alors le temps des vaches maigres. Les deux amis tentent bien un nouveau personnage, Funnyman, mais sans succès. D’autant que Shuster commence à perdre la vue, ce qui n’aide pas pour un dessinateur. Scénariste, Siegel bénéficie de plus de débouchés. Mais Shuster galère, d’autant que les comics ont de moins en moins la cote. C’est ainsi que commence la deuxième carrière de Shuster, celle de dessinateur fétichiste et SM !

L’aventure Nights of Horror
Seize pages, du texte tapé à la machine, une reproduction artisanale et une distribution dans quelques librairies spécialisées. Seize numéros seulement parurent, avant que le procès des Brooklyn Thrill Killers ne mette un terme à l’aventure. Ce fanzine était édité par Malcla, association de Eugene Maletta (« Mal »), imprimeur, et Clancy (« Cla »), auteur. Il s’agissait d’une série d’histoires illustrées sur des thèmes BDSM avec torture, humiliation, flagellation, fétichisme, etc. Les dessins restent sobres à nos yeux actuels : pas de nudité, pas de pornographie, pas de sexes visibles, mais l’ambiance est explicite. Le premier numéro parut en 1954 mais, très vite, la publication fut mêlée à un meurtre gratuit commis par quatre jeunes gens qui devint l’affaire des Brooklyn Thrill Killers. Il s’avéra en effet que le chef de cette bande était un lecteur revendiqué de Nights of Horror, et que le fanzine fut ainsi impliqué dans cette histoire comme corrupteur de la jeunesse et incitateur à la violence. La décision d’interdiction à la vente et de destruction de tous les exemplaires remonta jusqu’à la Cour suprême des États-Unis qui, en 1957, par cinq voix contre quatre, confirma la sentence. Joe Shuster, dont le nom n’apparaissait nulle part ici, ne fut jamais inquiété.*


Suite et fin
Quelques autres publications prirent la suite de Nights of Horror, sous différents noms : Hollywood Detective, Rod Rule, et des exemplaires survivants de Nights of Horror furent par ailleurs recommercialisés sous d’autres noms, avec une autre couverture : Pink Chemise, Black Chemise. Joe Shuster travailla aussi pour un magazine pornographique dénommé Continental, illustrant des articles et fournissant une BD de quatre pages qui n’eut jamais de suite, intitulée « Annette, Secret Agent Z-4 ». Il signa enfin quelques cartoons pour des magazines humoristiques féminins.
En 1978, à la sortie du premier film Superman, fans, dessinateurs et médias firent pression sur DC Comics pour qu’enfin Shuster et Siegel soient rémunérés. L’éditeur consentit à un modeste salaire. Joe Shuster mourut en 1992 à l’âge de 78 ans.
Le livre
Précédé d’une brève introduction de Stan Lee (celui qui imagina, entre autres, Hulk, X-Men, Spider-Man, Docteur Strange…), l’ouvrage reprend d’abord sous la plume de Craig Yoe toute l’histoire de Joe Shuster que je viens de vous résumer. Puis il présente chaque numéro de Nights of Horror, reproduisant des dessins de chacun d’entre eux, avant de faire de même avec les publications suivantes de Shuster dans cet univers de dessins SM et fétichistes. En voici une petite sélection, où l’on admirera le trait à la fois élémentaire et extrêmement efficace de Joe Shuster. Je ne suis pas un lecteur de Superman, mais je feuilletterais bien quelques exemplaires de Nights of Horror !

« The Strange love of Alice »

« The Strange love of Alice »

« Book of Torture »

« Devil’s Formula »

« The Vortex »

« The Bride Wore Leather »

« Dreams for Sale »

« The Flesh Mercants »



« Annette, Secret Agent Z-4 »

« Annette, Secret Agent Z-4 »
Informations complémentaires
ISBN : 978-0-8109-9634-2
Format : 22,5 x 22 cm
Nombre de pages : 160




